Je suis saxophoniste. Quand j’y pense aujourd’hui, l’évidence de cette déclaration me frappe : aucun autre instrument n’aurait pu m’aller si parfaitement. Il incarne complètement ma personnalité. Je suis une personne chaleureuse : j’aime partager – des rires, des expériences, des idées, des secrets -, j’aime raconter des histoires et captiver mon auditoire – mes amis, ma famille, mes élèves, mon public -, j’aime briller de différentes façons – avec un look excentrique, un défi accompli, ou un sourire. J’ai toujours eu besoin d’un public, et d’une scène. C’est tout naturellement que je suis tombée amoureuse du saxophone et de sa voix chaude et généreuse, sortie de son corps doré étincelant. Mais si c’est initialement ma personnalité qui a induit ce choix, l’influence s’est ensuite inversée et les qualités de mon propre instrument ont sculpté mon chemin artistique.
Une des principales caractéristiques du saxophone est sa remarquable polyvalence : il est convaincant dans une palette de genres musicaux étonnamment étendue, allant de la musique expérimentale au DJ set. Je suis fascinée par les outils et les personnes aux facettes multiples (une de mes idoles est Barbara Hannigan… qui danse, dirige et chante tout à la fois à un tel niveau d’excellence). De la même manière, les performances transdisciplinaires sont un aspect fort de ma pratique artistique : je suis membre fondatrice du SIBJA Art Collective, un collectif rassemblant musiciens, danseurs et artistes visuels, dédié à ces expérimentations et collaborations. Il me donne un moyen unique d’exprimer mes idées artistiques et de raconter des histoires, pas seulement en tant qu’interprète, mais aussi comme performeuse, metteuse en scène ou costumière. Il me permet également de pouvoir présenter ma musique à des publics qui n’y auraient pas eu accès d’une autre façon. En plus de bénéficier d’un apprentissage constant au contact d’autres disciplines, j’enrichis ma propre identité musicale par d’autres pratiques artistiques, telles que le stylisme ou la danse. J’aime à penser que tous ces aspects de moi-même se rejoignent quelque part sur scène, soudés par le lien que j’ai tissé entre eux.
Le saxophone scintille : sa couleur joyeuse irradie au loin, jusqu’au dernier rang de la salle, et son timbre puissant et voluptueux enveloppe le public, comme une connexion vibrante entre les auditeurs. Son ton peut aussi être doux et intime : j’aime utiliser toutes ses possibilités à travers des formats variés, de la formation de musique de chambre avec piano (Akmi Duo) à celle de soliste avec orchestre, ou en prenant part à des ensembles plus inhabituels (Duo Valentine & Gabriel Michaud, Sibja Saxophone Quartet, Alvin Lucier Ever Present Orchestra).
Âgé de seulement quelques décennies, mon instrument est, par la force des choses, contemporain et innovant. Conséquemment, je suis très investie dans la musique nouvelle : je collabore régulièrement avec de jeunes compositeurs et cherche à questionner le format traditionnel du concert. Je veux amener le public sur des territoires inconnus et le confronter à un répertoire qu’il n’aurait même pas imaginé. Mais si le répertoire moderne est mon terrain de jeu favori, je veux aussi, en interprétant des oeuvres plus classiques, donner au saxophone la place qu’il mérite parmi les instruments bien établis du monde de la musique classique. Tradition et innovation convergent dans mon engagement pour la jeunesse à travers mes activités pédagogiques. Qui pourrait avoir des idées plus fraîches qu’un enfant ? Le partage et l’enseignement sont des concepts voisins, et l’idée de transmission signifie beaucoup pour moi. Ici encore, je peux me servir de mon art comme d’un vecteur de connexion, non seulement entre les disciplines, ou entre moi et mon instrument, mes collègues ou mon public, mais aussi entre les générations, les cultures, les nations.
En tant que jeune artiste du 21èmesiècle, je me dois de non seulement agir comme un lien, mais de véritablement en devenir un. Au sein du réseau inextricable d’informations, d’images et de sons qui sature la masse mouvante d’une société complexe, j’entrevois un chemin dégagé, fluide et accueillant, vecteur d’idées et de sentiments et reliant individus et collectivités ; tout comme le mince filet d’air qui voyage le long d’un cône doré depuis ma respiration jusqu’au coeur des auditeurs.